Fatima Zohra Benbraham, avocate et chercheure en droit de l’histoire : «L’Histoire ne meurt pas avec les hommes»

La célébration du 67e anniversaire du déclenchement de la glorieuse Révolution de Novembre 1954 est l'opportunité de mettre en lumière le travail de préservation et de transmission de la mémoire effectué par ces hommes et ces femmes contre l'oubli. L'une d'elles est l'avocate et chercheure en droit de l’histoire Fatima Zohra Benbraham.

El Moudjahid : Vous êtes connue pour vos travaux sur la préservation et la transmission de la mémoire ; comment définissez-vous cette notion ?

Me Benbraham : Tout d'abord, la mémoire est intimement liée à l'esprit collectif d'un peuple et d'une nation. Cette notion a trois dimensions. La première est plus personnelle, autrement dit individuelle, la deuxième est territoriale et la troisième plus internationale. Il s'agit de trois espaces différents mais liés intrinsèquement, car quand on parle de mémoire on parle en réalité de notre identité. La maîtrise de l'épistémologie est, dans ce contexte, fondamentale pour préserver au mieux la mémoire. Je vous donne un exemple concret : aujourd'hui, quand les Français parlent de guerre mémorielle, je leur rétorque qu'il s'agit d'une guerre non pas des mémoires, mais d’une guerre contre l'oubli. En effet, la mémoire est l'ennemi de l'oubli. L'histoire est une suite de faits liés les uns aux autres, sans interruption, car le temps s'impose à l'Homme et le transcende.

Le travail de mémoire se poursuit à tous les niveaux. Un commentaire là-dessus, et quelles sont les nouveautés en la matière ?

Beaucoup reste à faire, dans la mesure où, de 1962 au début des années 2000, nous étions occupés à construire notre nation, l'écriture de notre histoire est plutôt récente. Toutefois, je note à présent une véritable prise de conscience dans notre pays quant à l'impérieuse nécessité de préserver notre mémoire. J'ai justement une anecdote : l’ancien président Sarkozy avait déclaré que les nouvelles générations oublieront le combat libérateur de leurs aïeux et ne demanderont pas de compensation. Que nenni ! Comme si l'histoire mourrait avec les hommes. L'histoire se lit au présent et s'analyse au futur. Donc pour certains Français, l'histoire de l'Algérie s'éteindra avec la disparition de nos moudjahidine; quelle étroitesse d'esprit. Bien au contraire, les nouvelles générations réclament de la France nos archives et réparation. Mais les autorités françaises retardent au maximum leur restitution à l'Algérie pour éviter d'être poursuivis pour les crimes commis chez nous. Il convient de rappeler, par conséquent, que la bataille se joue sur le plan juridique. La loi française de 2010 sur la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires introduit un article très intéressant qui permet aux ayants droit de bénéficier de l’indemnisation. Par extension, cette loi s'applique donc aux victimes algériennes et à leurs ayants droit qui sont en mesure de réclamer réparation à l'Etat français. Dans ce cas de figure, le juridique supplante l'argumentaire politique français.

Quels seront vos prochaines activités dans le cadre de ce travail de mémoire ?

J'informe vos lecteurs que je travaille actuellement sur l'organisation d'une conférence ayant trait à la déportation de nos compatriotes en Nouvelle Calédonie. Cette rencontre sera l'occasion pour moi de présenter des solutions concrètes sur ce dossier. Tandis que je participerai à une conférence le 11 décembre prochain sur l'impact des manifestations du 11 décembre 1960. Enfin, une autre conférence est prévue le 13 janvier prochain sur les explosions nucléaires françaises et leurs conséquences. S. K.